La sagesse de Descartes - Conclusion

Peut-on en finir avec le provisoire, c'est-à-dire sortir de l'incertitude morale ? Aucune morale n'est jamais close, achevée, fermée. Se reposer sur quelques certitudes morales, c'est proprement manquer de sens moral, c'est tomber dans ce sommeil dogmatique contre lequel Kant nous mettait en garde. La conscience morale n'est pas certitude, mais inquiétude. Elle ne consiste pas à faire aveuglément son devoir, mais à faire l'épreuve de l'incertitude de ce qu'il est juste de faire. Dès lors, toute morale n'est que provisoire, mieux : toute morale doit être provisoire. Tel est, si l'on peut dire, le seul vrai devoir : ne jamais se reposer sur la certitude du devoir accompli.

La sagesse du Discours de 1637 est de fixer quelques règles qui nous permettent d'agir lorsque nous sommes pétris d'incertitudes. Mais peut-il en être autrement ? Certes, il serait tentant de ne plus se poser de questions et de refuser de s'engager en se reposant sur "le mol oreiller du doute", comme l'appelle Montaigne, en s'en remettant à ces normes diffuses de la morale sociale que Nietzsche nommait la "moralité des mœurs" et qui, le plus souvent, ne sont que la somme des préjugés d'une époque.

En somme, puisque la certitude est la fin de toute morale, la probité intellectuelle consiste à affronter l'incertitude en refusant, certes, l'illusion d'une morale définitive, mais en étant résolu à agir malgré tout. En effet, nous n'avons pas le choix, il faut choisir. L'action ne souffrant pas le délai, il nous faut faire preuve de résolution - de détermination -  en nous engageant en dépit de l'absence de certitude morale.

C'est tout le sens de la morale par provision que Descartes se propose de suivre, sans pour autant nous la prescrire. Car cette morale provisoire ne donne aucune leçon de morale, mais interroge et désoriente. Elle nous invite à prendre nos responsabilités en assumant nos choix.